« ODES A L'EUCATASTROPHE »
Anna Maisonneuve,
Journaliste spécialisée en arts
[…] Nés respectivement en 1984 et en 1981, ce tandem stéphanois a développé au cours des dernières années un œuvre protéiforme mu par un amour indéfectible pour le trivial qu'il transcende par des pas de côté. Répudiant les approches frontales et les routines entêtées, leur travail se construit sur les voies empiriques de l'accident et de ses félicités. En somme des « eucatastrophes » pour reprendre à bon compte un néologisme forgé par Tolkien à partir du préfixe « eu ». Lequel signifie « bon » en grec.
Ces heureuses catastrophes irriguent une démarche artistique peuplée de silhouettes cernées de noir et remplies de teintes douces. Ces anonymes en tout genre sillonnent les corpulences et infiltrent les générations dans un tourbillon de conduites et de saynètes qui embrassent les vastes territoires de l'enfance. Tour à tour candides, ingénus, extravagants, grotesques, loufoques, mélancoliques, risibles, simplets, goguenards, sardoniques, grognons, maussades, timides, rêveurs, modestes ou pudiques, ce joyeux bataillon iconographique célèbre la variété et colonise une multiplicité de supports : toile, carton, papier, papier peint, matière plastique comme aussi de nombreuses portions de l’espace public. De Saint-Étienne où ils se sont rencontrés en 2007 au hasard d'une rue, jusqu'à Valparaiso au Chili, en passant par Paris, Chicago, Ostende, Klepp en Norvège, Montréal, Saint-Leu sur l'île de La Réunion, Zagreb et moult autres localités d'ici et d'ailleurs, la confrérie d'Ella & Pitr investit toutes sortes de surfaces paysagères sélectionnées pour leur capacité à faire caisse de résonance. Aussi bien des façades urbaines et des toits de bâtiments que des barrages, des espaces publicitaires, des stades de football, des bases aériennes, des carrières ou autres recoins des plus discrets, ... Minuscules ou si colossaux que pour les appréhender dans leur globalité titanesque (jusqu'à 20 000 m²) il faudrait pouvoir se percher sur un nuage, leurs protagonistes dédaignent les mesures étriquées d'un réel à l'échelle 1.
Invité par l’Agence culturelle départementale et la ville de Sarlat dans le cadre d'une résidence de recherche et de création de trois mois, le duo a sillonné la cité médiévale et expérimenté de nouvelles techniques avec notamment ces panneaux semblables à ceux utilisés au théâtre pour installer un décor. Pour ce joyau du Périgord Noir qui voit affluer chaque année deux millions de visiteurs, Ella & Pitr ont imaginé des mises en abîme pittoresques. Affublés de casquettes et de lunettes solaires, leurs vacanciers aux allures improbables sont occupés à savourer des cornets de glace résistant mal aux températures caniculaires... quitte à obstruer au passage une bonne partie des ruelles étroites où ils ont choisi de s'installer. Certains nous toisent sur le flan d'une cathédrale, quand d'autres se désolent des tournures rocambolesques prises par les événements. Essaimé ici et là, cet escadron de bois emboîte le pas d'autres œuvres se situant aux antipodes de ce spectre. Plus abstrait, cet ensemble de fresques en papier marouflé évoquent des drapés aux motifs ordinaires et néanmoins éclatants. Elles recouvrent les immenses et emblématiques portes de 15 mètres de haut signées Jean Nouvel ou plus modestement le mur extérieur d'une rue moins passante.